C'est dur pour tout le monde...

16/10/2017 21:16

Voici un article d'Audrey Chauvet repéré par Sylvie, paru dans le journal Corse matin du 14 octobre 2017.

Il faut être courageux (ou inconscient ?) pour se lancer dans l'apiculture professionnelle de nos jours ! 

L'article ici : 

crédit photos : Audrey Chauvet

 

Parasites, espaces invasives, phénomènes climatiques extrêmes… Les abeilles sont les témoins de tous les dérèglements de notre environnement et l’apiculture en fait les frais.

« Le miellat. Cette année, pour la première fois depuis quinze ans, il n’y en a pas », explique Pierre Carli.

Comme tous les apiculteurs professionnels de Corse, ce dernier est inquiet: sa récolte de miel, toutes variétés confondues, ne devrait pas dépasser les cinq tonnes cette année.

 

La reine avec un point jaune sur le dos.

Audrey Chauvet

 

« Il y a dix ans, lorsque je me suis installé, je produisais entre sept et huit tonnes par an », chiffret-il.

L’apiculture en chiffres

22 000 ruches

existent en Corse. Elles abritent chacune entre 50 000 et 90 000 abeilles

119 apiculteurs

produisent environ 220 tonnes de miel sous l’AOP Miel de Corse

2 miels

en France bénéficient d’une AOP : le miel de Corse et le miel de sapin des Vosges

1 kilo

de miel de Corse coûte en moyenne 20 euros en magasin

Une production presque divisée par deux et des prix qui, consécutivement, s’envolent: le miel de Corse pourrait bientôt devenir un luxe. Mais au-delà des conséquences économiques, ce sont surtout les causes écologiques de cette chute brutale de production qui alertent les apiculteurs.

« Les équilibres naturels qui étaient favorables aux abeilles sont menacés par les espèces invasives et le changement climatique », résume Pierre Carli.

Bête noire des apiculteurs, le Varroa destructor est apparu en Corse il y a une trentaine d’années. Ce parasite, qui a été importé avec des abeilles achetées à l’étranger, peut causer des pertes énormes dans les ruches. A quelques encablures de sa miellerie, au milieu des vignes de Patrimonio, Pierre Carli charge son enfumoir d’herbes sèches, endosse sa combinaison et ouvre une de ses ruches.

Il détecte rapidement un de ces néfastes acariens qui peut favoriser, entre autres maladies, l’apparition de la loque européenne.

« En prévention, je donne aux ruches des pâtes protéinées à base de pollen, enfin d’hiver », explique l’apiculteur. Pour limiter l’arrivée de parasites sur l’île, l’AOP Miel de Corse ne labellise plus que les apiculteurs qui travaillent avec l’écotype local de l’abeille, Apis mellifera mellifera corsica.

Mais les petites abeilles noires insulaires payent aussi le prix des maladies des végétaux.

Le cynips du châtaignier a ainsi porté un coup sans précédent aux apiculteurs : « D’ordinaire, quand j’emmenais mes ruches au mois de juin en Castagniccia, je récoltais trois tonnes de miel pour 150 ruches. Aujourd’hui, avec 200 ruches, je n’obtiens plus qu’une tonne de miel »,déplore Pierre Carli.

La Xylella fastidiosa, de son côté, n’a pas fait de mal qu’aux oliviers : en menaçant également le romarin, la lavande et d’autres plantes du maquis, elle pourrait nuire aux miels de printemps que Pierre Carli produit en laissant ses abeilles butiner tout ce qu’elles trouvent autour d’elles dans le Nebbiu.

« Pour le moment, la densité de plantes du maquis est telle que nous n’avons pas trop de problèmes, reconnaît-il. Ce qui nous inquiète, c’est la sécheresse : la production de nectar des plantes dépend de la température dans la journée et du taux d’humidité. »

 

Un enfumoir.

Photo Audrey Chauvet

 

Cet été, caniculaire et exceptionnellement sec, n’a donc pas été favorable aux ruches. Ni aux pucerons dont elles collectent les déjections sucrées pour donner ensuite le miellat dont Pierre Carli ne verra pas une goutte cette année : « Les abeilles ont besoin d’humidité pour récupérer les déjections des pucerons qui ont séché sur les végétaux. La sécheresse de l’été les en a empêchées ».

Après les inondations de l’hiver 2016, qui lui ont fait perdre 70 ruches, les incendies estivaux qui pouvaient à tout moment détruire ses essaims, et la sécheresse qui a amoindri les récoltes, Pierre Carli commence à envisager de se diversifier : « Le changement climatique est en marche et je suis beaucoup plus pessimiste pour l’avenir qu’il y a encore quelques années. Alors je pense de plus en plus à faire des produits dérivés, comme du pollen ou des vinaigres de miel, pour sécuriser mon activité ».

Tout n’est cependant pas noir au pays de l’abeille : en Corse, les apiculteurs ont la chance de ne pas être confrontés au problème des pesticides, qui sont les premiers tueurs de ruches sur le Continent. « Ça ne veut pas dire qu’il n’y en a pas du tout, mais nous sommes beaucoup moins touchés qu’ailleurs », reconnaît Pierre Carli.

Au milieu de vignoble de Patrimonio, ses ruches ne craignent rien : presque tous les vignerons travaillent, sinon en agriculture biologique, du moins en agriculture raisonnée.

Le frelon asiatique, grand prédateur des abeilles, n’est pas présent non plus sur l’île. Résultat, le taux de mortalité des ruches reste très raisonnable : entre 20 et 30 % chaque année alors qu’il est de 40 % en moyenne sur le Continent. Le syndicat de l’AOP Miel de Corse reste néanmoins très vigilant face à ces menaces.

En revanche, contre les événements climatiques extrêmes, canicules, sécheresses, inondations, qui risquent de se multiplier à l’avenir, il sera difficile de faire autrement que de s’adapter.

« Le marché pour notre miel est porteur, nous avons un produit d’exception mais toutes ces nouvelles contraintes obligent à être très pointu dans le travail et à se former sans cesse pour assurer la santé des colonies d’abeilles », rappelle Pierre Carli.

 

Photo Audrey Chauvet

 

Cela passe, notamment, par l’élevage de reines pour avoir des ruches toujours productives, un « nourrissement » des ruches avec du sirop pour compenser les déficits de nectar, des visites régulières aux quelque 90 000 abeilles qui habitent chaque ruche pour vérifier leur état de santé...

« Il faut être passionné pour faire ce métier », sourit Pierre Carli, en ouvrant une seconde ruche, puis une troisième : « Une fois que je suis dans les ruches, je ne m’arrête plus ! ».

Ses abeilles sont dociles, et les rayons bien garnis de pollen. Une reine, bien plus grande que les autres, se promène au milieu de ses ouvrières, attendant d’être nourrie pour pondre les larves qui donneront naissance à d’autres travailleuses.

De ce petit monde bien organisé dépend la pollinisation de la plupart des végétaux dont l’homme se nourrit. Réciproquement, la survie des abeilles dépend aujourd’hui de nous, rappelle Pierre Carli. « Les abeilles sont le reflet de la nature : si la nature se porte mal, les abeilles iront mal ».

 

Éleveur de reines

 

Couveuse de reines.

Photo Audrey Chauvet

 

Pour avoir des ruches productives, il faut des reines efficaces : ce sont elles qui donnent naissance à toute leur colonie. Lorsque les vieilles reines commencent à fatiguer, l’apiculteur doit donc pouvoir les remplacer par de jeunes reines plus fécondes.

Pour cela, Pierre Carli a commencé à élever des reines en couveuse : « On prélève des larves à peine écloses que l’on place avec des colonies d’abeilles orphelines. Celles-ci vont nourrir les reines exclusivement avec de la gelée royale pendant 16 jours ».

Chaque année, une couleur est choisie pour marquer les reines de l’année : ce repère, placé sur le dos des abeilles, permet aux apiculteurs de connaître instantanément l’âge des reines. Dès le début de leur vie, les reines se constituent une « spermathèque » en se faisant féconder par une quinzaine de mâles.

Elles passeront ensuite leur règne, de deux ou trois ans, à pondre et à renouveler la population de leur ruche.

 

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Ruches troncs et  abeilles noires.

 

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